13 janvier, 2025

Un arbre solitaire fait office de verdure.

Depuis l’angle formé par la rue du Couédic et celle du général Boulay, si on lève les yeux on voit un immeuble érigé en 18.. . Il domine la place F. Fournier et constitue avec d’autres bâtiments le corps du passage d’Orléans (1827). En face, de l’autre coté de la place, repose, rescapée des bombardements (1943), la basilique Nicolas (XI et XII siècles). L’espace qui constitue la place a été, comme toutes les ouvertures urbaines, minéralisé. Un arbre solitaire fait office de verdure. On cherchera encore quelques vestiges séculaires au détour des rues marchandes, ou encore des noms et dates évocateurs sur les plaques émaillées sur les hauts murs débordés par les enseignes électriques où les étalages tapent à l’œil. En fait, dans tout ce dédale hygiénique, mi-historique, mi-neutralisé, on reste « au pied de la muraille », comme les rebus statiques d’un monde qui tourne de lui-même et pour lui-même. On se retrouve séparé et négatif, non plus sujet mais objet d’un temps univoque : un présent éternel, pourtant à chaque fois recommencé, celui de la marchandise. Le temps cyclique a été confisqué par ce temps irréversible. Faut-il alors nous débattre et nous élever nous même ?

Dans son Enquète (livre IV, 3 et 4), Hérodote nous rapporte une « épreuve » vécue par les Scythes. Partis guerroyer contre les Cimmériens, ceux-ci retrouvèrent à leur retour aux portes de leur cité une armée prête à en découdre. Cette armée était en fait constituée par les enfants des esclaves qu’ils avaient laissés sur place et que leur épouse avaient pris pour amants (Hérodote écrit : « les femmes scythes […] couchaient avec leur esclaves ») durant leur longue absence. Cette descendance prenait le dessus à chaque bataille engagée par les Scythes. Mais le paradoxe pour eux était de diminuer en nombre en étant tué et de perdre en « gens à [leur] ordre » en tuant. Aussi, ils décidèrent de laisser leurs arcs et leurs lances pour prendre les cravaches destinées à leurs chevaux. « Tant qu’il nous voyaient les armes à la main, ils se croyaient nos pareils et fils de nos pareils ». Face au fouet, ils devaient reconnaître leur indignité et cesser toute résistance. De fait, le stratagème fonctionna à perfection et les Scythes reprirent leur place.

Ce récit, même s’il ne nous informe pas sur le sort que les rebelles et néanmoins fils de leurs épouses reçurent, nous semble, appliquer à notre propre époque, ironiquement habile. Les diverses forces qui nous dominent aujourd’hui n’auraient-elles pas lâché la trique pour la facture. Ce n’est pas je crois la pauvreté qui nous empêche (bien au contraire). Plus sûrement nous avons perdu notre valeur pour celle d’un fétiche de métal ou de papier. Un fétiche beaucoup plus enfoui que nous ne pouvons le concevoir. Ses chaînes déployées sont invisibles et naïves.

Redonnons la parole à Hérodote (livre VII, 152) : « Je ne sais qu’une chose, et la voici : que tous les hommes viennent étaler sur la place leurs fautes particulières pour les troquer contre celles de leur voisin et, quand ils auront vu celles-là de près, ils seront trop content de s’en aller en gardant chacun son paquet ». Que chacun de nous étale sur la place ses empêchements et enfin honteux nous seront trop contents de livrer à nouveau bataille.


 

 

 

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